Courtiers grossistes : le défi européen
Spécificité française, les courtiers grossistes combinent les rôles de concepteurs de produits, de souscripteurs et d’animateurs de réseaux. Ce modèle hybride et original doit aujourd’hui trouver sa place dans un nouveau paysage réglementaire européen qui ne les reconnaît pas.
Un récent arrêt de la Cour de cassation[1] est venu préciser qu’un courtier grossiste ne saurait être tenu à une obligation de conseil envers l’assuré final, dès lors qu’il se borne à la seule gestion administrative du contrat et qu’il ne prend pas part à la proposition d’assurance.
Vu de l’étranger, une telle motivation pourrait surprendre : comment un courtier, revendiquant ce statut, pourrait-il échapper à son obligation de conseil, fondement des missions de l’intermédiaire ?
C’est pourtant un des paradoxes de la situation des courtiers grossistes « intermédiaires indirects » du marché de l’assurance : une exception française.
Des acteurs majeurs du marché français
En un peu plus de 30 ans, les courtiers grossistes se sont imposés en France comme des acteurs majeurs de la distribution d’assurance, avec une production de 2,8 Milliards d’euros de commissions générant une relation avec près de 5 millions de clients.
Cette réussite s’est développée autour de besoins que les assureurs n’avaient pas ou peu réussi à servir, pour aujourd’hui adresser l’ensemble du marché, notamment celui de l’assurance de personnes.
Véritables intégrateurs de solutions d’assurance, les courtiers grossistes allient expertise marketing et technologique pour concevoir des produits mais également fédérer et gérer des réseaux composés de courtiers distributeurs. Ils se chargent de la gestion des produits d’assurance qu’ils mettent au point pour au final en confier le risque à un assureur.
Ce faisant, ils dépassent le rôle traditionnel de l’intermédiaire d’assurance et bousculent les modes juridiques d’exercices de la profession, au point que certains auteurs ont pu parler à leur sujet de « statut ambigu » voire « risqué ».
Un modèle quasiment unique en Europe
A vrai dire, le modèle français du courtier grossiste n’a pas vraiment d’équivalent en Europe.
Les marchés anglais et irlandais connaissent bien des « wholesale brokers » ou des « managing general agents », ces derniers étant dotés d’un pouvoir d’engagement, mais leur rôle se limite généralement à la fourniture d’une capacité d’assurance, sans véritable intervention au niveau de la conception du produit.
En Italie, on a vu l’apparition récente de quelques acteurs dont la forme d’exercice est proche du modèle français, toutefois leur influence reste limitée à des marchés spécialisés qui ne concernent pas l’assurance du grand public.
Une nature hybride, un empilage de statuts et d’obligations
Les différentes activités des courtiers grossistes sont, d’un point de vue réglementaire, autant de statuts et d’obligations qu’il leur faut assumer. Et à cet égard, la récente vague de réforme européenne (DDA/Solvency2) vient compliquer la donne :
- en tant que délégataires de gestion des compagnies, ils sont directement impactés par le nouveau régime Solvency 2 qui impose désormais aux sous-traitants des compagnies de se soumettre à des contrôles, des procédures et audits renforcés, ce qui conduit les courtiers grossistes à revoir leurs organisations afin de se mettre en règle face à ces nouvelles charges et responsabilités.
- en tant que concepteurs revendiqués de produits d’assurance ils sont visés par les obligations dites de « Gouvernance Produits » introduites par la directive DDA et dont l’entrée en vigueur est prévue en 2018. Ces nouvelles règles vont les conduire à assumer, aux côtés des assureurs, de lourdes responsabilités de conformité liés aux produits qu’ils mettent sur le marché.
Le modèle original qui a fait le succès des courtiers grossistes est désormais confronté à un défi réglementaire qu’il leur faudra intégrer sans pour autant perdre leurs spécificités.
Une clarification bienvenue s’ils prétendent à une reconnaissance européenne, condition nécessaire à leur expansion hors des frontières françaises.
[1] Cass. 2e civ., 23 mars 2017
Article paru dans CGPA Conseils de juin 2017