Les intermédiaires en assurance et la « gouvernance produits »

Introduite par la Directive sur la Distribution d’Assurance (DDA), la « surveillance et gouvernance des produits » (en anglais « Product Oversight and Governance » ou « POG »), vient ajouter une nouvelle pierre à l’édifice déjà complexe de la réglementation des produits d’assurance et de leur distribution.

Dans l’objectif géné­ral de pro­tec­tion du consom­ma­teur et de pré­ven­tion des ventes abu­sives, ces dis­po­si­tions visent à garan­tir qu’un pro­duit d’assurance ne puisse être mis sur le mar­ché par son « pro­duc­teur » qu’après le sui­vi de pro­cé­dures internes per­met­tant de défi­nir, docu­men­ter et contrô­ler durant toute la vie du pro­duit les élé­ments suivants :

-le mar­ché cible de clien­tèle auquel s’adresse le pro­duit d’assurance

- les stra­té­gies et canaux de dis­tri­bu­tion du produit

- les risques spé­ci­fiques que ledit pro­duit pour­rait faire cou­rir aux clients ou les pré­ju­dices qu’il pour­rait leur cau­ser et les moyens de pré­ve­nir ou cor­ri­ger ces risques.

A prio­ri, ce régime, éta­bli dans une volon­té affi­chée de conver­gence à celui appli­cable à la vente de pro­duits finan­ciers pré­vue par MIFID 2, ne semble donc concer­ner direc­te­ment que les com­pa­gnies d’assurance. Rien n’est moins sûr…

La “Gou­ver­nance Pro­duits” va néces­sai­re­ment impac­ter les cour­tiers et les réseaux d’agents.

Tout d’abord, et ce point est d’ores et déjà acquis[i], les inter­mé­diaires peuvent être qua­li­fiés de « pro­duc­teurs » au sens de la direc­tive, dès lors qu’ils jouent un « rôle clé » (sic) dans la concep­tion du pro­duit notam­ment de sa cou­ver­ture, de sa prime et de son mode de distribution.

Sont ici visés les cour­tiers gros­sistes, bien sou­vent à l’origine des pro­duits qu’ils dis­tri­buent via leurs réseaux et pour les­quels ils inter­viennent dans une large part de la chaîne de valeur, pour compte de l’assureur.

Il est pré­vu que le sché­ma de gou­ver­nance et la sur­veillance des pro­duits ain­si créés relè­ve­ront d’une co-res­pon­sa­bi­li­té entre le cour­tier et l’assureur, l’EIOPA pré­co­ni­sant d’ailleurs que le par­tage des tâches (et par­tant de l’éventuelle res­pon­sa­bi­li­té) soit détaillé dans un docu­ment contrac­tuel spécifique.

Bien que les rela­tions entre cour­tiers gros­sistes et assu­reurs soient déjà enca­drées notam­ment sur la ques­tion des actes de ges­tion délé­gués, ce nou­veau régime va vrai­sem­bla­ble­ment venir ren­for­cer les obli­ga­tions contrac­tuelles des « dis­tri­bu­teurs pro­duc­teurs » notam­ment en terme de contrôle interne, de repor­ting et le cas échéant d’alerte vis-à-vis des compagnies.

Les agents et les cour­tiers sont éga­le­ment embras­sés par la nou­velle norme pour leur seule acti­vi­té de dis­tri­bu­tion.

Ces der­niers doivent être des­ti­na­taires des mesures de gou­ver­nance pro­duits éla­bo­rés par le pro­duc­teur et s’y confor­mer. De plus, ils doivent se doter de « dis­po­si­tifs appro­priés » pour se pro­cu­rer les infor­ma­tions en ques­tion et pour com­prendre les carac­té­ris­tiques et le mar­ché cible défi­ni de chaque pro­duit d’assurance.

Ces dis­po­si­tions appellent bien des inter­ro­ga­tions. Au demeu­rant, les pro­po­si­tions et avis tech­niques de l’EIOPA, publiées en début d’année 2016 dans le cadre de l’élaboration des mesures d’application pra­tiques de la direc­tive et des tra­vaux de trans­po­si­tion, ont fait l’objet de nom­breux com­men­taires ou ques­tion­ne­ments des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, en par­ti­cu­lier des inter­mé­diaires par la voix du BIPAR.

Ain­si, de quelle marge d’appréciation l’intermédiaire pour­ra-t-il dis­po­ser face au mar­ché cible défi­ni par la com­pa­gnie ? Sera-t-il en mesure de dis­tri­buer à d’autres pre­neurs que ceux ini­tia­le­ment pré­vus dans le mar­ché cible ? Ce fai­sant, s’exposerait-il à un risque sup­plé­men­taire au regard de sa res­pon­sa­bi­li­té civile professionnelle ?

La « gou­ver­nance pro­duit » vient ouvrir un nou­veau cha­pitre régle­men­taire dont les pour­tours exacts ne sont pas encore figés mais dont on per­çoit déjà bien qu’il pour­rait influen­cer pro­fon­dé­ment et dura­ble­ment les rela­tions que les inter­mé­diaires entre­tiennent avec leurs clients mais éga­le­ment avec les compagnies.

[i] Cf DDA Article 25 al 1, 2°

Article paru dans “CGPA Conseils” Décembre 2016