REFLEXIONS SUR LA RECENTE TRANSPOSITION ESPAGNOLE DE LA DDA
Carlos Montesinos, Directeur Général de CGPA Europe Underwiting, agence de souscription de CGPA Europe en Espagne, commente la récente transposition de la DDA dans le système juridique espagnol, soulignant certaines questions à la fois applaudies par certains et décriées par d’autres.
Comme toute l’Europe le sait déjà, l’Espagne a été le dernier pays à transposer la directive 2016/97 du Parlement européen sur la distribution des assurances (DDA). La raison de cette transposition tardive trouve sans doute son origine dans la situation politique qui s’est développée en Espagne ces dernières années. Cette transposition a finalement été approuvée par le décret-loi royal 3/2020 du 4 février (RDL). Las Cortes (les deux chambres constituant le Parlement en Espagne) ont entamé la procédure parlementaire dans laquelle l’Espagne est plongée en ce moment même.
Après une si longue période d’élaboration, tout porte à croire que le contenu de la DDA devrait avoir été accepté par les différentes parties prenantes. Malheureusement, cela n’est pas le cas et, paradoxalement, certaines questions sont applaudies par certains, tout en étant âprement critiquées par d’autres. En effet, toutes les organisations représentatives des intermédiaires d’assurance en Espagne ont fait part de leur opinion à un législateur plus ou moins réceptif.
Ce ne serait exagérer que d’affirmer que la majeure partie du contenu de la RDL est traduction quasi in extenso de la Directive et que, par conséquent, rien n’y a été ajouté. Nous prendrons dans cet article le parti de ne pas émettre de jugement sur certaines questions controversées. C’est ainsi que nous nous limiterons à les énumérer et à les expliquer, qu’elles aient été finalement prises en considération par le Législateur ou non.
De toutes les questions, la plus controversée est sans nul doute celle de l’agent d’assurance pluri-mandataire. Il a en effet été très surprenant pour le secteur de l’assurance de de constater qu’après avoir disparu au sein des premiers projets, cette catégorie ait été réintroduite dans le RDL. Bien entendu, ceux qui y étaient opposés ont fait valoir qu’il était inutile de la réintroduire, au motif que l’agent exclusif ou le courtier étaient parfaitement capables de s’adapter à ce modèle de distribution.
Par ailleurs, une controverse majeure a conduit l’Espagne à instaurer l’exigence pour les intermédiaires d’assurance de tenir des “comptes clients totalement séparés” de leurs ressources financières propres, c’est-à-dire des comptes contenant des fonds n’appartenant qu’aux clients. Les opposants à cette exigence n’ont pas vraiment eu l’occasion de faire part de leur opinion sur ce point, car elle n’est rien d’autre qu’une transposition de la Directive. Toutefois, deux interprétations contradictoires ont émané de la formulation même de cet article : en effet, tandis que certains comprennent qu’il s’agit de comptes bancaires distincts, d’autres y voient des comptes clients séparés et différenciés au sens comptable du terme. C’est un point sur lequel le régulateur s’est déjà exprimé verbalement, ayant affirmé que cet article renvoie en fait à l’obligation d’avoir des comptes bancaires distincts, reste maintenant à publier cette précision de manière officielle. Autre point notable sur lequel on aurait pu s’attendre à ce que le législateur offre une meilleure protection pour les assurés : la protection de ces comptes clients du reste de la masse des créanciers de l’intermédiaire en cas de procédure collective, comme le dispose l’article 10 paragraphe 6c de la DDA : cet aspect n’est pas même envisagé dans la transposition.
Enfin, il convient de mentionner le fait que certaines organisations ont demandé que soit supprimée l’exigence de souscription d’une garantie financière, découlant de cette nouvelle obligation de tenir des comptes clients séparés. Toutefois, malgré ces demandes, l’obligation de souscrire une garantie financière a été maintenue.
Un autre sujet ayant donné lieu à de nombreux conflits est l’introduction de ce que l’on appelle les “mediadores de seguros complementarios” (les intermédiaires d’assurance à titre accessoire), qui peuvent exercer des activités de distribution de produits d’assurance sans être soumis aux exigences énoncées dans la transposition de la directive. De ce fait, de nombreux intermédiaires ont tenté de faire comprendre, sans succès, que le montant de la prime d’une police d’assurance ne diminuait pas pour autant les dommages susceptibles d’être causés à un tiers, comme par exemple pour l’assurance voyage associée à la vente d’un forfait vacances.
Parmi les autres changements importants induits par la transposition de la DDA, on trouve la formation. Ainsi, la formation destinée à l’obtention du niveau 1 (anciennement groupe A) pour les dirigeants de cabinets de courtage a vu le nombre d’heures de formation initiale lui étant allouées réduites de 500 à 300, bien qu’une nouvelle obligation qui n’existait pas auparavant ait été créée, à savoir une formation continue de 25 heures par an.
Pour les autres niveaux, la formation initiale est maintenue (et même augmentée pour le niveau 3), et la formation continue a été renforcée. D’autres questions relatives à ce domaine sont encore en suspens, en attendant la parution des décrets d’application.
Toutes les organisations sans exception ont fortement remis en question la nécessité de modifier le régime des sanctions, en vue de les adapter afin de les rendre proportionnelles à la situation financière des intermédiaires. Cette revendication n’a pas non plus été prise en compte, de sorte que le texte final est celui de la directive.
En outre, l’Espagne a depuis longtemps interdit les commissions sur les produits d’investissement basés sur l’assurance (les insurance-based investment products ou IBIP’s). L’objectif est d’éviter que les distributeurs d’assurance ne vendent ces produits en privilégiant la potentielle rémunération dont ils pourraient bénéficier plutôt que les intérêts de leurs clients. Il convient de noter qu’ils peuvent toutefois toucher des honoraires de la part du client, mais jamais directement de l’assureur. De ce fait, lors de l’élaboration du RDL, toutes les organisations professionnelles demandé sans succès à ce que les intermédiaires puissent être rémunérés par les compagnies d’assurance pour la distribution de produits d’investissement fondés sur l’assurance dans lesquels le preneur d’assurance assume le risque d’investissement. Il convient de noter que pour cette question, les positions des intermédiaires et des compagnies d’assurance ont toujours coïncidé, ces dernières craignant sans doute une baisse des ventes réalisées par les courtiers pour ces produits, en raison de l’impossibilité de les rémunérer.
Parmi les questions en suspens, l’une d’entre elles a eu le soutien des associations professionnelles, à savoir la nécessité de profiter de ce nouveau cadre juridique pour établir des règles relatives au changement d’intermédiaire en cours de contrat. Ce sujet n’a pas été inclus au sein du RDL, mais malgré l’absence de disposition légale, les intermédiaires et compagnies d’assurance se sont accordés sur ce point. A ce sujet, il convient de noter une demande de la part des acteurs du secteur, qui est la suppression du texte actuel de l’obligation de notification des assurés dans le cas où le courtier vendrait son portefeuille en cours de contrat. L’article 156.5 du RDL rend en effet obligatoire l’obtention du consentement du preneur d’assurance pour procéder à un changement d’intermédiaire dans de telles circonstances, ce qui est jugé improductif par de nombreux acteurs du secteur, car cette exigence rendrait dans de nombreux cas les opérations d’achat de portefeuille non viables.
Sujet non moins important en Espagne : les intermédiaires d’assurance ont toujours manqué de souplesse concernant la possibilité de collaborer entre agents et courtiers, voire entre les agents eux-mêmes. Cela les rapprocherait pourtant de ce qui existe déjà depuis plusieurs années dans d’autres pays de l’Union européenne. Ce type de collaboration n’est en effet autorisé ni par l’ancienne loi ni par le nouveau RDL.
Enfin, cette transposition et les exigences qu’elle implique ont ouvert un débat sur la question de savoir si ces changements conduiront à une concentration accrue des portefeuilles et donc à une contraction significative du modèle de distribution des produits d’assurance par les intermédiaires indépendants : comme pour beaucoup d’autres questions, seul le temps nous permettra d’y répondre.
L’avis unanime est que cette loi est bien structurée et que la protection du consommateur ainsi que les exigences légales applicables à tous les intermédiaires, y compris aux réseaux propres des sociétés, sont des points particulièrement bien traités par le texte.
Pour conclure, cette transposition de la Directive européenne sur la Distribution d’Assurance représente un réel effort d’harmonisation avec les différentes législations des autres Pays Membres l’Union européenne, et de recherche d’une protection accrue du consommateur. Ce décret royal constitue ainsi un ferme pas en avant, qui contribuera sans nul doute à faire converger tous les pays de l’Union dans la même direction, bien qu’il reste encore beaucoup de points à éclaircir pour que tout le monde soit satisfait.